La bêtise est une cache, une souille où se peuvent réfugier paresseux, obstinés et planificateurs. On y est à son aise, ce qui n’est pas rien. Qui n’a jamais goûté sa tendre protection ? 

Bêtise, Niaiserie et leur cousine Naïveté restent pourtant des relations compromettantes. On feint de ne les pas connaître ou reconnaître. La Fontaine et Molière les moquèrent. L’intelligence et l’instruction se liguèrent pour les faire taire, à vrai dire sans guère de succès jusqu’à présent.

Les sept poèmes de ce numéro 9 du feuilleton poétique de l’année 2022, veulent leur ménager officiellement une voix au chapitre, car elles portent aussi leur part de vérité, de notre vérité. Ils plaident pour la reconnaissance de ces qualités décriées et moquées. Que celui qui ne s’est jamais senti bête nous jette la première pierre !

La bêtise comme antidote au « wokisme »

N’ayons pas peur de la bêtise, ni de la niaiserie. Acceptons de les voir surgir dans nos vies avec cette éclatante inconvenance qui est leur marque de fabrique. Par leur extraordinaire force d’inertie, elles ralentissent les œuvres de l’intelligence, servent d’amortisseur, de pare-feu, et nous protègent ainsi des ambitions toujours un peu hystériques des empires technologiques ou pseudo-scientifiques.

Mais leurs bienfaits vont plus loin encore. Par la blessure narcissique que leur révélation nous inflige, elles nous remettent à notre place et nous gardent de l’hubris prométhéenne. Elles nous aident en nous montrant nos limites. Croyons-nous ne pas en avoir besoin ? En ces temps de « wokisme » délirant, où beaucoup perdent toute mesure, il importe de nous souvenir de nos limites, de les voir à nouveau marquées sur notre chemin, et ne pas finir dans « l’impasse du wokisme » .

Ô puissante bêtise, montre-toi ! Car nous autres nains, tout juchés que nous soyons sur les épaules de géants*, avons grand besoin de ton épiphanie. Hélas, notre ignorance des limites croît plus vite que notre savoir. On savait pourtant depuis longtemps que l’homme ne sait pas l’histoire qu’il fait**. Cependant, il la fait, sans savoir ce qu’il fait, et toujours la chouette de Minerve ne chante qu’au crépuscule***.

Une crainte française : celle du ridicule

Mais trêve de cuistrerie et de citations ! Regardons-nous ! La peur de la bêtise, de la sottise, de la naïveté et de la niaiserie est un travers très français. Nos voisins belges n’en sont que rarement affectés, et c’est peut-être ce qui leur donne une part de leur charme délicieux. Toutefois, ces peurs françaises portent un autre nom, qui les résume : la peur du ridicule.

Ici, les vices sont sans conséquence, mais le ridicule tue.

Mémoires de la Comtesse de Boigne (1781-1866)
repris PAR RéMI WATERHOUSE dans Ses dialogues pour le film « Ridicule », réalisé par PATRICE LECONTE (1996).

Sans doute est-ce de cette peur-là que naît l’arrogance française, dont la réputation internationale n’est plus à faire. Dommage pour nous que l’arrogance ne soit pas répertoriée dans les critères des enquêtes PISA…


* Métaphore attribuée à Bernard de Chartres (XIIe siècle) et largement utilisée au fil des siècles par de très grands penseurs, comme Newton, Montaigne et Pascal. En 1972, la dernière mission lunaire Apollo 17 fut baptisée On the Shoulders of Giants par les responsables de la NASA…
** Formule attribuée à Marx et reprise par Raymond Aron et par une infinité d’auteurs…
*** Métaphore extraite de la préface des Principes de la philosophie du droit de Hegel. Elle signifie que la philosophie, c.-à-d. la science – car Minerve est la déesse de la sagesse dans la Rome antique – est toujours en décalage avec l’Histoire qui est en train de s’écrire.