L'URGENCE DU SENS

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Sic transit

Sic transit gloria mundi : Ainsi passe la gloire du monde. La phrase ne s’adresse pas seulement aux puissants du jour, mais surtout à l’universel délire de toute-puissance qui s’exprime et s’imprime avec une force particulière dans la société post-moderne, jusque dans la langue et dans les corps. 

« Le réel, c’est quand on se cogne », disait Lacan. La force des coups reçus est à la mesure de notre prétention à la toute- puissance. À l’heure de l’extension du domaine du safe space, qui veut encore se cogner ?

Sous les coups, le temps s’échappe, la vie s’accélère, le possible s’éloigne et disparaît avec la vie. Reste la contemplation des fragments qui surnagent. «Aphrodite estropiée montre encore la beauté ». 

Ce numéro 4 du feuilleton poétique de l’année 2022 regroupe neuf poèmes choisis dans le recueil Caresse du monde

Enfances

Vient de paraître Enfances, le numéro 3 du feuilleton poétique de l’année 2022. Dix poèmes qui portent un peu du mystère de cette période de la vie : le temps des empreintes qui façonnent l’âme, des rêves qui inventent des mondes, celui des premières rencontres avec la confiance et la déception, la beauté et l’indifférence, le désir et le désarroi.

L’enfance demeure, dans son éclat diamantin, une manière de perfection chérie, protégée, bien à l’abri dans le poème. Lumineuse et redoutable, souvent indécise, toujours fragile, nous la traversons comme en apesanteur, et lui restons redevable de l’essentiel : notre façon d’être au monde.

« Que faire de ces enfances que nous portons, transportons et reportons à l’infini sans même nous en apercevoir ? »

Psychologues et psychanalystes, avec leurs concepts propres, explorent les forces et les conflits qui conditionnent notre façon d’être au monde, et nous aident à, ou nous empêchent de devenir ce que nous devons être. Depuis le IVe siècle, le christianisme a, quant à lui, développé la notion de « péché originel », une notion bien difficile à entendre pour l’homme post-moderne. Le péché est une figure du mal qui se manifeste dans la culpabilité.

Le « péché originel » semble alors être un pur modèle de péché. Puisqu’il n’est lié à aucun acte mauvais, d’où peut-il provenir ? Pour Lacan, la culpabilité serait l’expression du manque, le « signifiant » de la finitude. Elle serait le produit de la confrontation avec l’impossible, bien plus qu’avec l’interdit. Serait-ce dans un manque originel que se trouve l’origine du péché originel ? Ce redoublement – l’origine de l’originel – ne pourrait-il pas être le signe d’un possible dénouement ?

Avec le péché originel, Saint Augustin a aussi inventé la reconciliatio, c’est-à-dire la réconciliation de l’homme avec Dieu grâce à la médiation du Christ, qui peut dénouer la fatalité du mal, comme il advient dans le baptême où il conserve cette fonction réconciliatrice dans le dogme catholique.

Trouver la force de devenir sans cesse ce que l’on doit être, requiert d’opérer un retour sur notre propre histoire et de nous réconcilier avec elle. Or, l’histoire d’un homme, c’est d’abord, avant tout – et après tout – celle de son origine et de son lignage. C’est donc avec eux qu’il s’agit de nous réconcilier. À défaut, nous voilà contraints, culpabilisés, malheureux. La réconciliation peut nous sortir de ce piège, mais elle a besoin d’une médiation.

J’aimerais que la poésie des Enfances soit lue comme une poésie de réconciliation.

La Danseuse de la Madeleine

L’été adolescent en cropped top se promène
Quand jaillit un éclair violet, gracieux,
Il surgit, surprenant comme un signe des dieux.
Soudain alerté, j’observe le phénomène
 
Qui réveille la rue. Pouvoir mystérieux,
L’élégante silhouette et sa couleur vive
Aimantent mon attention et la captivent.
Seul, un profil perdu s’offre encore à mes yeux.
 
Comme l’extravagant, je suis son mouvement.
Des jeunes gens respectueux et patients
La sacrent souveraine en lui faisant cortège.
 
Elle sourit et me salue joyeusement.
Oui, je te reconnais à tes yeux confiants,
À ce pas de danse esquissé, ô privilège.

La Danseuse de la Madeleine, in Les Passantes
ISBN 978-2-32239-283-4


À propos de Les Passantes

La ville est une drôle de machine où les rencontres, apparemment fortuites, semblent réglées par un petit lutin farceur. Je ne peux m'empêcher de voir en chacune de ces passantes, en chacune de ces rencontres de hasard, les pages d'une histoire qui reste inachevée, les moments d'un destin qui ne se connait pas lui-même. 

"La danseuse de la Madeleine" est un des huit poèmes du n°2 de mon feuilleton poétique 2022. Il est dédié au mystère, à la légèreté, à la fugacité d'un instant marqué par la légèreté d'une robe d'été élégamment portée, la joie d'un sourire généreux et la vivacité d'un regard confiant. 

Quoi de plus important ? Quoi de plus urgent ?

Le corps alors n'est plus une chose, mais un signe divin.

Les Passantes

Saisi de sidération à l’annonce de l’attaque russe contre l’Ukraine, je suis resté, jusqu’à ce jour, incapable d’écrire l’article de présentation du deuxième e-Book de mon feuilleton poétique 2022.

Intitulé « Les Passantes », ce livre numérique regroupe huit poèmes choisis dans le recueil « Caresse du monde », qui reprennent le thème — récurrent dans l’histoire de la poésie — de l’extrême fugacité de la rencontre amoureuse.

Cette rencontre est de celles qui se concentrent en un unique instant, un instant que les Anciens nommait Kairos, un dieu mystérieux, qui arrive sans crier gare, passe à vive allure mais ne repasse pas. Kairos laisse pourtant à jamais sa marque dans les cœurs, au plus profond. Souvent, il décide d’un destin : la vie ou la mort, la défaite ou la victoire.

Pourrais-je aller à pied à ton enterrement ? Ce printemps qui vient là, comment savoir s’il ment ?

Extrait de Caresse du monde, N°34, © Jean-Marie Sonet, 2021

Il y aura donc eu aussi, en ce mois de mars 2022 qui annonce déjà le printemps, un passage de la paix à la guerre.

Rien n’aura été changé dans l’instant, mais tout est soudain différent. La vie prend une densité nouvelle, terrifiante ou exaltante selon les tempéraments, voire les deux simultanément. La terreur exige alors ce courage qui consiste, comme on sait, non pas à ignorer la peur, mais à la surmonter. Les Ukrainiens semblent bien connaître ce courage.

« Ce printemps qui vient là, comment savoir s’il ment ? » Cette question revient me tourmenter. Ces quelques mots, écrits il y a deux ans, prennent soudain, et brutalement, une toute autre couleur. Cette couleur, c’est celle de l’effroi.

Des couples, là bas, s’étreignent en un ultime baiser. Elle part pour l’exil, il part au combat. Cet instant de basculement, miroir de celui de leur rencontre, ne se laissera ni oublier, ni partager.


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