Saisi de sidération à l’annonce de l’attaque russe contre l’Ukraine, je suis resté, jusqu’à ce jour, incapable d’écrire l’article de présentation du deuxième e-Book de mon feuilleton poétique 2022.

Intitulé « Les Passantes », ce livre numérique regroupe huit poèmes choisis dans le recueil « Caresse du monde », qui reprennent le thème — récurrent dans l’histoire de la poésie — de l’extrême fugacité de la rencontre amoureuse.

Cette rencontre est de celles qui se concentrent en un unique instant, un instant que les Anciens nommait Kairos, un dieu mystérieux, qui arrive sans crier gare, passe à vive allure mais ne repasse pas. Kairos laisse pourtant à jamais sa marque dans les cœurs, au plus profond. Souvent, il décide d’un destin : la vie ou la mort, la défaite ou la victoire.

Pourrais-je aller à pied à ton enterrement ? Ce printemps qui vient là, comment savoir s’il ment ?

Extrait de Caresse du monde, N°34, © Jean-Marie Sonet, 2021

Il y aura donc eu aussi, en ce mois de mars 2022 qui annonce déjà le printemps, un passage de la paix à la guerre.

Rien n’aura été changé dans l’instant, mais tout est soudain différent. La vie prend une densité nouvelle, terrifiante ou exaltante selon les tempéraments, voire les deux simultanément. La terreur exige alors ce courage qui consiste, comme on sait, non pas à ignorer la peur, mais à la surmonter. Les Ukrainiens semblent bien connaître ce courage.

« Ce printemps qui vient là, comment savoir s’il ment ? » Cette question revient me tourmenter. Ces quelques mots, écrits il y a deux ans, prennent soudain, et brutalement, une toute autre couleur. Cette couleur, c’est celle de l’effroi.

Des couples, là bas, s’étreignent en un ultime baiser. Elle part pour l’exil, il part au combat. Cet instant de basculement, miroir de celui de leur rencontre, ne se laissera ni oublier, ni partager.