« Je me suis fait païen et j’ai bu l’eau rougie »(*)
Il se trouve que le numéro précédent de notre feuilleton poétique de l’année était consacré aux Lieux. De tous les lieux qui comptent sur la terre, les sources sont sans doute les plus originels qui soient, dans tous les sens qu’on puisse donner à ce terme. Les Anciens en avaient fait des divinités. Ne le sont-elles pas restées, quoique discrètement ?
Le beau Narcisse lui-même naquit du viol de la nymphe Liriopé par le fleuve Céphise qui, dans son bras incurvé autrefois enfermait [la nymphe, et] que prisonnière dans ses eaux, [il] a violé. Amoureux de lui-même, fou de désir, Narcisse finit par comprendre : Mon image ne me trompe pas. Je brûle d’amour de moi. Je fais, je suis la flamme .
Le beau Narcisse lui-même naquit du viol de la nymphe Liriopé par le fleuve Céphise qui, dans son bras incurvé autrefois enfermait [la nymphe, et] que prisonnière dans ses eaux, [il] a violé. Amoureux de lui-même, fou de désir, Narcisse finit par comprendre : Mon image ne me trompe pas. Je brûle d’amour de moi. Je fais, je suis la flamme […] Ce que je désire, je l’ai. Ce que j’ai me rend pauvre. Ô, si je pouvais me séparer de mon corps! Vœu nouveau chez un amant, je voudrais que ce que j’aime s’éloigne (**).
Les reflets, les ombres des eaux profondes, le chant des sources généreuses, nourricières et fécondes, le mystère de leur jaillissement séminal et la puissance des fleuves impitoyables se mêlent au destin de Narcisse dans cette histoire faussement bucolique et véritablement tragique.
Mais où sont les eaux lustrales d’antan ?
Dans de très nombreuses traditions religieuses, aspersions et ablutions rituelles, qu’elles fussent païennes, hébraïques, chrétiennes ou hindoues furent des pratiques presque universellement répandues. Mais où sont les eaux lustrales d’antan ? Les nouveaux bigots adorateurs de l’hygiène, qui sont à présent légion, leur préfèrent le gel hydro-alcoolique…
Les sept poèmes de ce numéro 11 du feuilleton poétique de l’année 2022, se souviennent aussi des sources de nos anciens pèlerinages. D’abord entachés d’un soupçon de superstition et d’idolâtrie, le thermalisme médical ou récréatif les a finalement sécularisés.
On y vient toujours jeter honteusement quelques pièces de monnaie. Modeste offrande pour apaiser la divinité qui habite là. Discret sacrifice pour attirer sa bienveillance afin que jamais, son eau ne nous manque. Car notre soif est inextinguible.
Ironiquement, au gré de la mode qui trotte dans les manuels de développement personnel, nous voilà qui cherchons frénétiquement à « nous ressourcer ». Sait-on seulement ce que « source » signifie ?
Les sources et les fleuves nous attendent
Il est des villes anciennes traversées de paisibles rivières. D’autres tournent prudemment le dos au fleuve immense et menaçant qui les frôle. Admirables vus de loin, mais terrifiants de près, voici les estuaires, les immenses confluents.
Je suis l’enfant qui rêva longtemps au passage des barges géantes remontant la Moselle. Celui dont le Rhin légendaire et vorace emporta le bateau de bois. Je suis le vieil homme desséché qui voit venir à lui un monstre ravageur gonflant grondant hurlant dans le lit désolé du Gardon.
Les rivières et les fleuves nous attendent encore. Ils ne nous ont pas oublié. Mais leurs abords saturés d’autoroutes, de voies ferrées et d’installation industrielles, portuaires ou nucléaires, nous sont devenus difficiles d’accès. Alors, nous les oublions. Nous franchissons les ponts sans un regard pour eux, dans notre hâte à rejoindre quelque rendez-vous dont l’éphémère importance nous aveugle.
(*) Extrait de Jean-Marie Sonet, Source 3, in Caresse du monde, n°79, Book-on-Demand GmbH Verlag, Norderstedt, Allemagne, 2021.
(**) Ovide, Narcisse et Echo in Les Métamorphoses, livre III, 340-512, traduit du latin par Marie Cosnay, Éditions de l’Ogre, Paris, 2017.